Les Petites Fugues 2024
L’ikigaï et la babysitteuse
Le festival vu par Hugo Boris, venu en 2023
Mardi dernier, j’avais une demi-heure à tuer au CDI avant une rencontre scolaire. Les professeures documentalistes avaient rassemblé quelques ouvrages sur le Japon et l’un d’eux m’a griffé l’œil : Le Petit livre de l’ikigaï de Ken Mogi. Je l’ai commencé sur place et, l’heure tournant, j’ai demandé la permission de l’emporter en promettant de le rendre la semaine prochaine.
Qu’est-ce que l’ikigaï ? Le sens de sa vie, la raison que chacun trouve à se lever le matin. L’éthique du travail. La joie des petites choses. L’aptitude à apprécier chaque instant. L’importance d’être ici et maintenant.
Las ! je n’arrive pas encore à mettre sur le même plan un café avec une amie, l’optimisation de la place dans le lave-vaisselle, un rayon de soleil, l’émotion que me procure mon fils pendant un match de handball, la lecture de L’Homme qui danse de Victor Jestin et un brossage de dents. J’aimerais être capable de ressentir que chacun de ces moments est unique et ne se répétera jamais, que je dois en jouir et en prendre un soin jaloux. Puisque la vie passe comme un battement de cil, puisqu’elle fuit entre nos doigts.
S’il y en a un qui a trouvé son ikigaï, c’est le bien-nommé festival des Petites Fugues. Chaque rencontre est préparée avec la même attention, la même douceur, le même amour fanatique qu’une cérémonie du thé. Formulée avec un an et demi d’avance, l’invitation brillait au loin dans la brume des jours. Quelques semaines avant le lancement des festivités, je recevais le dossier pédagogique qui me soufflait. Puis, l’un après l’autre, les mails de bienvenue des professeur.e.s et bibliothécaires qui allaient m’accueillir. Ce soin du détail allait se vérifier tout au long du festival. Imaginez-vous que les organisatrices des Petites Fugues ont même prévu un café-restaurant à Besançon qui fasse table ouverte pour les autrices et auteurs qui voudraient se poser ou se retrouver entre deux déplacements. L’ikigaï, mes amis, l’ikigaï.
Alors, merci. Pour cet échange que nous avons eu dans l’intimité de la voiture qui nous menait à la rencontre. Pour ces questions inattendues. Pour cette soupe maison. Pour ces confidences sur ta mère qui est morte quand tu avais vingt ans et dont tu attends encore la reconnaissance. Pour ce bref strip-tease devant le tunnel à rayons X de la prison. Pour m’avoir dit que Le Courage des autres, à soixante ans, était le premier livre que tu lisais de ta vie. Pour en avoir lu cinq autres en détention depuis. Pour ton pot de miel d’anniversaire. Pour cette lecture-performance qui en jetait. Pour le jogging sur les feuilles mortes dans la boucle du Doubs au son de Chéri FM. Pour cette babysitteuse à qui tu as confié tes enfants pour que je ne dîne pas seul. Pour ces instants qui ne reviendront jamais. Pour le bonheur que tu m’offres à leur souvenir.