Le festival vu par...

Mes Petites Fugues

© Photo : Robbie Lee

Biographie

Zinaïda Polimenova est née en Bulgarie. Diplômée de l’université de Sofia en histoire et théorie de la culture, elle achève sa...

Le festival vu par Zinaïda Polimenova, venue en 2024

« Prends des vêtements chauds », me dit Lola, « … il commence à neiger ici… ». Je termine de relire le programme de la semaine, quatre jours denses ponctués des noms de personnes et de lieux inconnus. Une feuille Excel comme un fil d’Ariane, mais qui ne me dit pas pour l’instant le déploiement de la route. « N’oublie pas de grignoter quelque chose avant les rencontres, ça enchaîne… », me couve Lola. La pluie tombe toute fine sur cette fin de novembre. Je descends à la gare de Dole pour passer un coup de fil, on a un problème avec une soutenance de thèse, cela ne peut pas attendre. Je ne sais pas encore que dans quelques heures, mon univers me paraîtra ancien, un pays étranger avec ses lois et ses fatalités, inopérantes dans ce monde chaud, vibrant et organique, dans lequel je plonge.

« Il y aura des déjeuners avec les auteurs Eugène et Léo », m’écrit Géraldine. Je lis leurs derniers livres, les découvre, ris aux éclats au café Aime, QG des Petites Fugues à Besançon. Une « Petite forme » avec Emilienne, je me demande, drôle de nom, pourquoi « petite », je nous espère en « bonne » forme… Des dictateurs font qu’on se rencontre, venant de continents éloignés, de régimes extrêmes, où les machines répressives et la souffrance bouleversent les destins de la même manière, malgré les distances. Nos mots sont différents. Nos visions se croisent dans la mezzanine de la médiathèque de Combes, flambant neuve et illuminée de l’intérieur par ses anges-gardiennes.

Puis on fonce. La semaine pulse et s’accélère, en rythmant sa cadence entre paysages urbains et collines vallonnées. Près de la frontière suisse, le vert clair fond dans les paroles échangées, la voiture fend la campagne dans la couche épaisse et écarlate de la fin de journée.

J'ai été sidérée d'apprendre comment des libraires, des enseignants et des documentalistes préparent ensemble, pendant des mois, leur rencontre. Que les libraires se sont rendus au lycée pour guider les élèves dans l'élaboration de leurs questions, que la professeure de musique a choisi avec eux des extraits musicaux, pour accompagner les extraits de mes romans. Et cette classe qui remue sous la magnifique Chapelle de l'hôpital à Pontarlier, portée par le charisme de la jeune professeure de français, en leur centre émanant de lumière, ses cheveux blonds détachés et ses gestes gracieux, flottant dans un pull en laine un peu grand, ces enfants au seuil de la vie adulte ont mis le doigt sur les passages les plus importants de mes textes. La joyeuse nuée, étincelante autour de son centre de gravité, qui dévore le petit buffet en oubliant la partie « officielle », tout cela me ramène à des images enfouies : j'ai 15 ans et la révolution démocratique est devant moi, tout est possible, tout est en devenir, les jeans soigneusement déchirés et les sacs à dos pleins de livres, la chute du mur de Berlin est notre ressort.

« Vous avez une poire pochée dans du thé blanc, avec un peu de cannelle et du miel, ce sera très bon ». La cuisine spacieuse aux murs gris se réveille à la petite heure et notre hôte est souriante, cela fait oublier l'omelette sommaire de la veille au soir, quand nous avons couru dans la rue centrale, vide et glacée, pour ne pas rater les dernières commandes dans le seul restaurant ouvert à 21h. Les trajets en voiture reprennent et avec eux, les conversations qui deviennent plus intimes, on passe en revue nos vies, entremêlées dans des espaces et des temporalités multiples, de la solitude de cette maison de montagne devenue trop grande, à travers les années passées à Sarajevo et le lien avec le monde franco-allemand, on se remémore l’invention de notre maturité.

Il est presque minuit quand mon guide, revigoré par la rencontre intense, organisée conjointement par les médiathèques de Blamont et de Pont-de-Roide, me demande : « Vous souvenez-vous du Mondial de foot en 1994, quand la Bulgarie a éliminé la France ? Ah, quelle déception, quelle histoire ! » Je m’en souviens. Je ne sais plus où je suis. Après la demi-finale, nous sommes descendus dans les rues de Sofia, l’effervescence non pas patriotique, mais humaine, nous tenait debout, il était trois heures du matin en plein été et personne n’avait l’intention d’aller se coucher.

« As-tu bien dormi ? », la voix aimée de Bertrand s’inquiète, du fond du portable, de mon état de fatigue. « Oui, très bien », je lui réponds, en repensant à la nuit passée où je n’ai pas fermé l’œil, dans le secret de la chambre d’hôtel, profondément ébranlée par la rencontre aux Invités du festin à Besançon. Chaque personne compte à ce festival, malgré les restrictions budgétaires et les menaces qui pèsent sur le monde de la cuture. Je le comprends quand on m’introduit dans une pièce au calme où je rencontre deux pensionnaires, un poète et un artiste, qui ne peuvent pas venir dans la salle pleine de monde, souffrant d’agoraphobie… Ils me marquent par leur attention à mon travail, je les écoute et quelque chose se déplace imperceptiblement en moi. C’est à cet endroit que se sont nichées désormais mes Petites Fugues.

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