GRACQ / BOUM / HUE !!!
Pour les 20 ans des « Petites Fugues »
Je l’ai souvent croisé rue de Grenelle, il marchait d’un bon pas. Je n’ai jamais osé lui parler. Bien que comme lui agrégé de géographie, j’aurais eu un grand plaisir à discuter avec Julien Gracq, l’écrivain le plus secret de la littérature française qui avait refusé en 1951 le prix Goncourt décerné pour Le Rivage des Syrtes.
Cet immense écrivain avait une représentation distanciée de sa place en littérature : « je n’ai plus de confrères. Dans l’espace d’un demi-siècle, les us et coutumes neufs de la corporation… je prends rang, professionnellement, parmi les survivances folkloriques appréciées qu’on signale aux étrangers, au près des pains Poilâne et des jambons fumés l’habitant »
Selon l’expression de Julien Gracq je ne serais qu’un « liseur » parmi les quelques milliers de lecteurs. Je lisais et relisais beaucoup je recherchais dans un roman les thématiques, les filiations, la structure du roman… les relations avec le temps… je participais aux rencontres d’écrivains organisés par les librairies, avec parfois des lectures longues que j’appréciais.
« Ce qui a disparu de l’horizon d’une certaine critique, c’est le lecteur pris dans le fil de sa lecture, le lecteur en émoi et en mouvement, désirant, exigeant, appréhendant, attendant. La lecture qu’elle propose est le paradoxe d’une lecture arrêtée, immobilisée : un champ d’investigations… c’est à dire la substitution au voyage de la carte routière ».
Pour Julien Gracq « L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel » l’itinéraire qui se déroule ainsi à travers la discontinuité créatrice des livres est celui d’un écrivain fidèle aux figures de son imagination et attentif aux rythmes profonds de son écriture. Pour Michel Tournier, « Julien Gracq sait voir dans une ville, une campagne, une forêt, un être vivant, un tout organique ayant une unité presque biologique. L’un de ses traits essentiels c’est une perception purement spatiale, enfermée dans le temps présent »
La lecture de l’œuvre de Julien Gracq, la fréquentation des univers d’Annie Ernaux, Pierre Michon, Claude Simon, Marie-Hélène Lafon, Yves Ravey, Pierre Bergounioux … et les multiples rencontres littéraires proposées par le CRL m’ont incité à m’investir pleinement pendant dix ans dont quatre en tant que Président. Le dispositif des « Petites Fugues » n’a pas cessé de s’enrichir et de se diversifier au cours des ans créant une véritable « attente » thème cher à Julien Gracq.
Je terminerai en compagnie de l’écrivain Emmanuel Ruben * invité des « Petites Fugues » 2019. Agrégé de géographie, dessinateur, directeur de la « Maison Julien-Gracq » sur les bords de Loire. Grand voyageur auteur fécond, grâce à qui j’ai découvert l’univers du peintre Danois Per Kirkeby, « un des rares peintres, parmi les contemporains qui ait donné par les seuls moyens de la peinture une idée de l’être déraciné, dilaté, démesuré, déboussolé ».
* Emmanuel Ruben, Dans les ruines de la carte (Le vampire Actif, 2015).